Article
publié en décembre 2019
dans le
Bulletin de la société historique
« H.C.U. Histoire et Civilisation de l'Uzège »
Le Comité des Orgues d'Uzès remercie Histoire et Civilisation de l'Uzège et Monsieur Fabricius pour cet article
L'orgue historique de la
Cathédrale d'Uzès
En été 2019, deux
événements remarquables sont passés presque inaperçus du grand public : lors
de deux récitals d'orgue, le Comité des Orgues d'Uzès a eu l'excellente idée
d'installer deux caméras sur la tribune, près de la console de l'orgue. Le public a ainsi pu observer le travail de
l'organiste sur un écran géant. Quel
bonheur ! L'événement était
d'autant plus remarquable puisque, pour des raisons de sécurité
liées à la vétusté de certaines parties du bâtiment, l'accès à la tribune de l'orgue
n'est pas autorisé au public. Cette initiative louable du Comité des Orgues a
ainsi permis aux mélomanes et autres amis des orgues, de
voir pour la première fois, et de
près, l'ensemble de la console, les claviers, le
pédalier et le tirage des jeux. C'était
pour beaucoup une occasion unique d'apprécier cette véritable œuvre d'art
qu'est l'orgue historique de notre cathédrale.
Voici donc quelques réflexions sur ce joyau.
La construction et l'évolution
de l'orgue, enfin tout son passé, sont indissociablement liées à la cathédrale
qui l'abrite. Au fil de son histoire
mouvementée, le bâtiment a traversé plusieurs époques de styles. Après avoir été endommagé à plusieurs
reprises, une première fois en 1177 pendant la Guerre des
Albigeois, puis une deuxième fois en 1563 pendant les Guerres de Religion, le
bâtiment originel fut complètement démoli en 1621. La cathédrale telle que nous la voyons
aujourd'hui, est le résultat de la reconstruction entreprise entre 1642 et 1663. Ainsi, nous n'avons pas affaire à un style
« pur » car nous nous trouvons là dans une période de transformation
entre la Renaissance et les débuts du baroque, ce qui pourra expliquer quelques aspects éclectiques. La façade, disparate, a même été rajoutée au
XIXème siècle. Toutefois,
grâce à une construction classique et probablement aussi à une certaine
sobriété à l'intérieur de la nef centrale, nous y bénéficions d'une belle,
voire même très belle acoustique.
Suite à l'achèvement, en
1663, des travaux de reconstruction de la cathédrale, la construction de l'orgue
a été lancée. Il faut se rendre compte qu'un orgue d'époque est toujours un ouvrage
unique, adapté au local qui l'abrite, et fabriqué sur mesure et surtout à la
main, ce qui prend plusieurs années.
Notre orgue a été construit entre 1679 et 1683. L'instrument appartient donc à une esthétique
baroque ; il est un beau témoin de la facture d'orgues du XVIIème
siècle dans la région (v. ceux de Carcassonne, de Béziers, de Mende), et dans
la France entière. Ainsi, la musique
d'orgue a plus de 300 ans d'histoire à la cathédrale Saint-Théodorit
d'Uzès.
Deux ans après
l'installation de l'orgue, ses magnifiques volets peints, représentatifs du
style du règne de Louis XIV, ont été rajoutés en 1685. Les volets ont une fonction liturgique ; ils
sont traditionnellement fermés pour le Carême et les temps de deuil. De nos jours, vu l'âge et la fragilité de l'ouvrage,
on n'oserait plus y toucher … Haut
placés, leur construction et les détails de leurs motifs ornementaux ne sont
pas faciles à apercevoir depuis la nef centrale. Il s'agit de toiles peintes tendues sur des
châssis articulés. Leur décor est
composé d'oiseaux, d'angelots, de fleurs et de fruits. Il faut savoir que ce sont en effet encore
les volets d'origine : fait insolite, et unique en France.
L'orgue lui-même contient
2772 tuyaux ; leur longueur est exprimée en pieds. Notre orgue est composé de 3 claviers et d'un
pédalier, et de 47 jeux, dits aussi registres, expression plus courante en
Lorraine et en Allemagne. Ce sont des
manettes coulissantes placées de part et d'autre des claviers. Le tirage des
jeux permet à l'organiste de définir et de modifier le timbre, et aussi
d'autres capacités de l'orgue (tremblant par exemple). Ainsi, en fonction de la registration
sélectionnée, c.-à-d. du choix des registres tirés par l'organiste, on peut faire
sonner l'orgue comme, par exemple, une trompette, ou un cor anglais, ou une
flûte, ou un hautbois, ou un cornet, et bien sûr encore une multitude d'autres
sonorités. La combinaison de plusieurs
registres choisis, qui doit être harmonieuse, permet à l'art de l'organiste, d'offrir
une grande variété de timbres différents, et donc une vaste palette sonore.
Le blog du Comité des
Orgues nous apprend que l'instrument semble avoir traversé la Révolution sans
grand dommage.
Au fil du temps, l'instrument a
fait l'objet de deux restaurations. Une première grande restauration de l'orgue,
devenue nécessaire en 1844, a toutefois permis de conserver une grande partie
(env. 1.100) des tuyaux du XVIIème siècle. Vers 1960 l'orgue est à bout de souffle et a
besoin d'une sérieuse restauration.
Grâce à l'action énergique de Pierre Pélisséro et avec le soutien de la
Marquise de Crussol, une restauration complète a été réalisée en 1964 par
Alfred Kern de Strasbourg, un des meilleurs facteurs d'orgue de l'époque. Par sa méticulosité, sa manufacture d'orgues
a réalisé un travail de restauration admirable.
Or, l'orgue vieillit
mal. Aujourd'hui, il commence une
nouvelle fois à fatiguer. Sa situation
s'aggrave ; il souffre, parmi d'autres problèmes, d'une "maladie"
du métal. Si l'expression étonne, il
faut se rendre compte que les tuyaux d'orgues sont généralement fabriqués en
métaux sensibles, le plus souvent en alliage d'étain et de
plomb. L'alliage est peu tolérant aux
variations de température et d'hygrométrie ; il est aussi constamment exposé aux influences atmosphériques et à
la poussière ; ce qui fait que le métal "vieillit". Le phénomène est connu ; on l'appelle
aussi la maladie du plomb ou la peste de l'étain. Pierre Pélisséro, dans son beau livre « Uzès,
délices et orgues » (2004), mentionne « que certains tuyaux […] ont
subi, à la longue, une oxydation inévitable du métal qui les rend fragiles et
même cassants », et il souligne que « certains tuyaux, comme les
individus, ont une sensibilité particulière ».
Une restauration s'impose ;
elle sera certainement coûteuse puisqu'elle nécessitera l'intervention d'artisans facteurs d'orgue hautement
spécialisés et difficiles à trouver. Or, l'instrument mérite toute notre
attention : n'oublions pas qu'il a été classé monument historique en
1934. C'est incontestablement un joyau
exceptionnel qui fait la fierté d'Uzès.
Je termine ces réflexions avec
une citation du livre de Pierre Pélisséro qui m'a beaucoup touché :
"Il
me semble que pour se distinguer de l'ambiance musicale et conceptuelle
profane, on aura toujours besoin de l'orgue, de sa profondeur, de sa majesté,
de sa douceur, pour faire vibrer et transporter les cœurs et les conduire vers
l'intériorité."
- Georges
FABRICIUS