Mélodie Michel à l'orgue de la cathédrale
Quand une œuvre contemporaine se confronte à la musique baroque ...
Mélodie Michel interprétera tout d'abord "Omoï" du compositeur Grégoire Rolland. Cette œuvre contemporaine (2011) sera suivie de grandes pièces choisies dans le répertoire baroque italien, français et allemand :
Michelangelo Rossi Toccata settima
Jacques Boyvin Suite du 3e ton : Prélude, Fugue, Dessus de Cornet séparé ou de petite tierce, Basse de Cromhorne
Concert de Flûtes ou fond d'orgue, Grand Dialogue à 4 Chœurs
Nicolas De Grigny Récit de Tierce en taille (extrait du Gloria du Livre d'Orgue)
Johann Sebastian Bach Sonate en trio en do majeur BWV 529
Fantaisie en sol majeur BWV 572
Contrastes, mais aussi parfois similitudes apparaitront ainsi entre ces musiques que plus de trois siècles séparent.
Vous trouverez ci-après une biographie de l'artiste et un commentaire détaillé des oeuvres qui seront joués.
Biographie
Mélodie Michel est entrée à l’unanimité dans la classe d’orgue d’Olivier Latry et de Thomas Ospital au CNSMDP en 2020, à l’âge de 16 ans. Mélodie est une jeune musicienne franco-américaine qui a été formée à l’orgue par Jean-Baptiste Robin au CRR de Versailles, où elle a également étudié le piano, le violon, l’alto, et l’écriture musicale.
En tant qu’organiste, Mélodie s’est déjà produite en concert dans plusieurs églises et abbayes dont la Cathédrale Notre-Dame de Paris, l’église Saint-Sulpice, la basilique Sainte-Clotilde, l’église Saint-Eustache, l’Abbatiale Saint-Robert de la Chaise-Dieu, la Chapelle Royale de Versailles, l’Abbaye de Royaumont, la Cathédrale de Nîmes, et l’église Notre-Dame-de-Lourdes à Saint-Pétersbourg, en Russie.
Mélodie a eu l’immense privilège de co-inaugurer l’orgue de Zaryadye Hall à Moscou lors d’un marathon de 24 heures, réunissant 24 organistes de renommée internationale. Elle a également participé au marathon de l’intégrale de l’œuvre pour orgue de Bach donnée à la Philharmonie de Paris. Elle se produit régulièrement en concert en Allemagne, notamment à Weimar, Stuttgart, Bayreuth, Mannheim, Bonn et Tübingen. En août 2022, elle s’est produite au Festival de la Chaise-Dieu où elle a joué avec le chœur Sequenza 9.3 sous la direction de Catherine Simonpietri.
Mélodie a remporté en octobre 2021 le Premier Prix du Concours André Marchal «L’Orgue des Jeunes ». Elle est également lauréate du 24ème concours Albert Schweitzer Organ Festival Hartford High School Division aux USA. En octobre 2024, Mélodie a remporté le Prix du Développement Artistique du Concours International d'Orgue du Canada.
Grégoire Rolland – Omoï
Grégoire Rolland est un compositeur et organiste français né en 1989. Sa formation musicale l'a conduit à obtenir des diplômes prestigieux, notamment un master d'écriture, un prix d'analyse, un master d'orgue et un prix d'orchestration au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. Il a également étudié la composition à la Haute École de Musique de Genève et la musique et musicologie à la Sorbonne.
Son œuvre s'inspire principalement du chant grégorien, de la nature et des cultures asiatiques, en particulier chinoise et japonaise. Il développe une technique de composition qui associe la temporalité de l'écriture des idéogrammes asiatiques au déploiement de formes musicales correspondantes.
"Omoï" est une composition initialement écrite pour orgue seul en 2011, en hommage aux victimes du tsunami et de la catastrophe nucléaire de Fukushima. Le titre "Omoï" signifie "mémoire" ou "souvenir" en japonais.et l'œuvre est basée sur le chant traditionnel japonais "Furusato", qui évoque le souvenir du village natal et l'importance de ne pas oublier ses racines .
Rolland découpe et modifie la première phrase du chant en plusieurs motifs, utilisant principalement des intervalles de secondes et de tierces. Les harmonies ainsi crée diatoniques généralement consonantes, reflétant la suspension temporelle et la contemplation introspective liées au souvenir .
Initialement crée pour l'orgue, l'œuvre a été ensuite portée à l'orchestre avec orgue. Elle a été interprétée lors de concerts, notamment au sein de l'Auditorium-Orchestre national de Lyon .
Michelangelo Rossi – Toccata settima
Rossi (vers 1601 – 1656) est un compositeur, violoniste et organiste italien de la période baroque, reconnu notamment ses Toccate e Correnti d’intavolatura d’organo e cimbalo, publiées vers 1634. Ces pièces illustrent son style unique, mêlant virtuosité instrumentale et expressivité dramatique.
Parmi ses dix toccatas, la Toccata Settima (en ré mineur) se distingue par son audace harmonique et son expressivité. Elle compte deux sections, développée dans un style relativement simple, avec des harmonies qui peuvent surprendre nos oreilles plus habituées aux harmonies classiques (Mozart, Beethoven,...), comme un reste des harmonies médiévales. La seconde section est remarquable par l'introduction de nombreuses dissonances et pour son final d'une intensité chromatique saisissante, qui évoquent la liberté de Johann Froberger (organiste allemand de la même période).
Dans son ensemble, la Toccata Settima reflète également l'influence de Girolamo Frescobaldi (organiste de la basilique St Pierre de Rome à peu près à la même époque), avec une structure alternant toccatas et courantes, et une écriture riche en contrastes de textures et de climats .
Jacques Boyvin – Suite du 3eme ton
Jacques Boyvin (vers 1653–1706) est un compositeur et organiste français majeur de la fin du XVIIᵉ siècle. Né à Paris, il est nommé en 1674 organiste titulaire de la cathédrale Notre-Dame de Rouen, où il exerce jusqu’à sa mort. Boyvin laisse deux livres d’orgue (1689 et 1700), chacun comprenant huit suites dans les huit tons ecclésiastiques, totalisant 120 pièces liturgiques.
La Suite du 3ᵉ Ton, publiée en 1700 dans le Second Livre d’orgue, est écrite en la mineur, correspondant au troisième mode ecclésiastique. Cette suite se distingue par sa richesse expressive et sa diversité de textures, alternant pièces solistes et dialogues entre les registres de l’orgue. Elle est conçue pour exploiter pleinement les ressources de l’orgue français de l’époque, dont l'orgue de la cathédrale d'Uzès est un bel exemple.
- Prélude : Introduction solennelle à deux claviers, utilisat les jeux de fonds et d’anches, caractéristique des grands jeux français
- Fugue : ou l'on entend l'art de Boyvin dans l'écriture contrapuntique (écriture à plusieurs voix se mêlant ou se répondant)
- Dessus de Cornet séparé ou de petite tierce : Pièce virtuose mettant en avant la voix supérieure (dessus) avec des ornementations rapides et des accords.
- Basse de Cromhorne : belle pièce mettant en valeur le jeu d'orgue de « cromhorne », qui imite l'instrument du même nom.
- Concert de Flûtes ou fond d'orgue : pièce douce et harmonique
- Grand Dialogue à 4 Chœurs : pièce finale mettant en opposition deux groupes de registres ou de claviers, illustrant le dialogue entre différentes voix de l’orgue.
Nicolas de Grigny - Récit de tierce en taille
Nicolas de Grigny (1672–1703) est l’un des plus grands maîtres de l’orgue français baroque, bien qu’il soit mort jeune. Son unique Livre d’orgue, publié en 1699 à Reims, représente un sommet de l’écriture pour orgue en France, admiré jusqu’à Jean-Sébastien Bach, qui en copia l’intégralité de sa main. Ce recueil comprend cinq messes et hymnes pour orgue, écrites dans le cadre de la liturgie catholique.
Parmi les pièces les plus célèbres de ce recueil figure le « Récit de tierce en taille », qui s’inscrit dans la Messe pour l’orgue (tonus primus). Il s’agit d’un récit, c’est-à-dire une pièce soliste mettant en avant une voix mélodique - ici placée en taille (dans la partie de ténor) - accompagné par des jeux doux au positif.
Ce morceau est emblématique de l’élégance et du raffinement du style français : la voix soliste est ornée de nombreuses agréments, selon l’art du « bon goût », et avance dans une ligne mélismatique lente, pleine de gravité. L’accompagnement, souvent à deux ou trois voix, soutient discrètement la ligne principale, créant une texture sereine et méditative. L’effet d’ensemble évoque une prière intime, un moment suspendu dans la liturgie, à la fois austère et profondément expressif.
Ce récit est un modèle de la rhétorique musicale à la française : chaque note, chaque ornement semble porter un sens, une émotion, une intention spirituelle. Sa place dans la messe en fait un moment de recueillement, souvent joué à l’élévation ou à la communion.
Johann Sebastian Bach – Sonate en trio BWV 529
Les six sonates en trio pour orgue de JS.Bach sont des chefs-d'œuvre du répertoire baroque, composées probablement entre 1727 et 1730, durant son séjour à Leipzig. Contrairement à ce que leur nom pourrait laisser croire, ces œuvres ne sont pas destinées à trois musiciens, mais à un seul organiste, qui doit faire entendre simultanément trois voix indépendantes : deux lignes mélodiques confiées aux mains (claviers) et une ligne de basse continue jouée au pédalier.
La 5eme sonate (BWV 529) en ut majeur se distingue par son éclat lumineux et son écriture particulièrement claire et joyeuse. Elle est composée en trois parties :
Allegro : le premier mouvement, d'une grande vivacité, repose sur un thème entraînant et très rythmé. Les voix se répondent avec légèreté et précision. Le ton de ce mouvement est résolument joyeux, presque dansant, tout en affichant une grande rigueur formelle.
Lento : en contraste total, le deuxième mouvement explore une atmosphère contemplative. il met en valeur le chant expressif des voix supérieures, soutenues par une basse discrète et fluide. Le climat est plus intime, presque vocal, et démontre la sensibilité harmonique de Bach.
Allegro : le troisième mouvement reprend une énergie éclatante. C’est une fugue vive, construite sur un sujet enlevé qui circule entre les trois voix avec une aisance souveraine. L'équilibre entre rigueur contrapuntique et élan rythmique fait de ce final une page particulièrement jubilatoire
Johann Sebastian Bach – Fantaisie en sol majeur BWV 572
La Fantaisie en sol majeur, également connue sous le nom de "Pièce d’orgue", est une œuvre singulière dans le corpus pour orgue de Johann Sebastian Bach. Composée probablement à Weimar entre 1707 et 1712, elle témoigne d’une période d’expérimentation stylistique où Bach explore différentes formes, textures et influences européennes – notamment le style français.
Contrairement aux grandes toccatas ou préludes suivis de fugues, cette pièce est construite en un seul mouvement continu, mais articulé en trois sections contrastées :
Une introduction brillante, marquée par des traits rapides, des arpèges et des passages en accords brisés, cette première partie évoque l’écriture française de clavecin, pleine d’éclat et de virtuosité. Elle fait appel à la vélocité de l’organiste et à une registration claire et festive.
Une section centrale plus méditative où le discours se ralentit. La texture devient plus polyphonique, presque improvisée. C’est un moment de respiration, dans un style plus allemand, où la ligne mélodique et les harmonies prennent le dessus sur la virtuosité.
n final resplendissant qui conclut l’œuvre dans un grand déploiement d’accords majestueux, presque orchestraux, affirmant la tonalité de sol majeur avec une puissance jubilatoire. Cette conclusion, souvent décrite comme un "grand chœur instrumental", rappelle l’influence du plein jeu français et la grandeur de l’orgue baroque.
Cette fantaisie est un joyau d’invention et de panache, parfaite pour ouvrir ou clore un récital d’orgue. Elle révèle une autre facette de Bach : celle d’un musicien brillant, audacieux, déjà maître de son langage, mais encore « joueur » dans sa liberté de forme et de style.