Liesbeth Schlumberger
interprète
le grand concert du 6 aout 1840 donné par Mendelssohn en l'honneur de JS.Bach
Après la mort de Bach, à une époque où l'orgue est tombé quelque peu en désuétude, c'est Mendelssohn qui a remis au goût du jour la pratique de cet instrument en écrivant de grandes oeuvres et en "restaurant" une véritable technique instrumentale (et notamment celle du pédalier). L'aspect pédagogique (fondamental chez les luthériens) est d'autant plus important lorsque l'on sait que le titre des Sonates op. 65 de Mendelssohn devait être initialement "Ecole d'orgue".
Mendelssohn s'installe fin août 1835 à Leipzig, la deuxième ville de Saxe, et y reste jusqu'à sa mort le 4 novembre 1847. Chef d'orchestre du Gewandhaus, nommé doctor honoris causa par la célèbre université de Leipzig (qui forma entre autres Leibniz, Goethe et Novalis), il est également le fondateur du conservatoire de Leipzig. Toutes ces activités, plus celles qui l'occupent aux alentours, l'amènent à écrire à Hiller en 1836 : « Tu ne peux te figurer de quelle somme de travail je suis accablé ». Une citation de Berlioz évoque bien la place « légendaire » de Mendelssohn dans cette ville : « à Leipzig, Bach est dieu, et Mendelssohn est son prophète ». À Leipzig, également dans les années 1840, Felix Mendelssohn se lie d'amitié avec le compositeur Robert Schumann qui voit en lui le « Mozart du XIXe siècle »
La résurrection de la Passion selon Saint Mathieu en mars 1829 par le jeune Felix illustre cette situation. Onze ans plus tard, le 6 août 1840, Mendelssohn donne un récital d'orgue à l'église Saint-Thomas ( Thomaskirche ) consacré à la musique de Bach, à l'occasion de l'inauguration de la statue de Bach sur la place devant cette église.
C'est ce concert de 1840 que Liesbeth
Schlumberger nous propose de revivre.
Le programme du concert d'Uzès
Fugue en Mi bémol Majeur BWV 552/2
Cette œuvre imposante est en réalité une triple fugue, qui développe la symbolique trinitaire du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Les sujets de chaque fugue personnalisent les trois personnes divines. Le sujet de la première fugue est celui du Père : sujet grave, d'une imposante autorité, constitué de deux sauts de quarte ascendante successifs. La seconde fugue présente le thème du Fils, sujet à 4 voix, souple, ondoyant en croches paisibles, et la troisième celle du Saint-Esprit, sujet rapide « comme des battements d'ailes ? ». Dans la seconde et la troisième fugue, le thème du Père apparaît aussi imbriqué dans ceux du Fils et de l'Esprit, car « le Fils et le Saint-Esprit procèdent du Père ».
Cette musique est donc aussi très symbolique, ce qui est courant dans l'oeuvre d'orgue de Bach. Ainsi le thème du Père apparaît 27 fois. Or, 27 = 3 x 3 x 3 symbolisant la trinité et la prééminence du Père. 27 est aussi le nombre de pièces de la « messe luthérienne », etc, etc.
Fantaisie sur le Choral “Schmücke dich, o liebe Seele” BWV 654
« Pare-toi, o ma chère âme »...
C'est sans doute la pièce la plus émouvante et la plus célèbre du recueil de chorals de JS Bach dit « de Leipzig ». La mélodie est pleine de douceur, magnifiquement ornée, sur un rythme paisible. Le choral est constitué de périodes largement espacées. Chaque période débute par un « commentaire » avant de laisser apparaître le thème du choral proprement dit.
Ce choral impressionna fortement Schumann et … Mendelssohn qui l'entendirent joué en concert sur l'orgue de la Thomaskirche.
Prélude et Fugue en la mineur BWV 543
L'oeuvre définitive daterait des premières années de Bach à Leipzig - il s'agit de la version parachevée de pages écrites antérieurement. Le prélude, bien que relevant du style véhément de l'Allemagne du Nord (stylus phantasticus), est très construit et se déroule tel un discours persuasif. La fugue développe, elle, un thème très populaire dont le motif peut se retrouver chez Vivaldi, Corelli ou Pachebel.
Passacaille et fugue en do mineur BWV 582
Une passacaille est une danse ancienne. C'est aussi par extension une pièce de musique dans laquelle un thème court est répété de nombreuses fois à la basse, de manière obstinée (on parle d' « ostinato »).
La passacaille de Bach est une pièce monumentale, colossale, unique dans l'oeuvre de Bach, et même dans toute la littérature d'orgue le précédant. Dans cette œuvre de 292 mesures, durant environ 12 minutes, le thème à la basse apparaît 33 fois – écriture symbolique toujours ...Chaque occurrence du thème étant l'occasion d'une variation toujours plus savante. La composition est un immense crecendo qui nous emporte dans un souffle épique, et qui aboutit à une conclusion triomphale.
Pastorale en fa majeur BWV 590
C'est un morceau très populaire, où l'on reconnaît l'influence italienne dans l'inspiration de Bach. Son titre était d'ailleurs « Pastorella pro organo » dans les copies anciennes.
Cette pastorale est composée de 4 parties indépendantes : la pastorale proprement dite, puis une allemande, une troisième partie évoquant un solo instrumental et enfin un charmant fugato. Des airs charmants, presque comme des chants de Noël ...
Toccata et Fugue en ré mineur BWV 565
On ne présente plus la très célèbre toccata en ré de Bach. C'est l'œuvre d'un jeune homme (Bach aurait eu une vingtaine d'années ?), exprimant un tempérament ardent et virtuose où l'on reconnaît l'influence des grands maîtres d'orgue de l'Allemagne du Nord (Buxtehude, …).
On peut imaginer que la toccata était destinée au dimanche de Pentecôte. Elle débute par trois phrases descendantes, qui zèbrent l'espace musical comme des éclairs et qui pourraient symboliser les langues de feu (l'Esprit Saint) descendant sur les Apôtres. Elle se poursuit avec des traits audacieux, parfois violents. Nul doute que, à l'époque, Bach a du sidérer son auditoire provincial !
La fugue, plus tempérée relève plutôt d'une écriture pour instruments à cordes. Elle se termine par un postlude puissant et majestueux.
Robert Alexander Schumann : fugue sur le nom de B.A.C.H. opus 60- n. 6
Loin des effusions sentimentales, les six fugues sur le nom de Bach renouent avec les Préludes et Fugues de … Mendelssohn (1837), avec une forme plus ancienne et ce qu'elle implique de plus scolastique à l'instar de L'art de la fugue de JS.Bach. La fugue n°6 est à double sujet. Une noble progression conduit vers l'épisode majestueux et « vertical » (de grands accords) qui la termine.
L'orgue d'Uzès et la musique de Bach
Mendelssohn connut, dès sa prime jeunesse, des orgues d'esthétique baroque. Ainsi, à Berlin, alors qu'il étudiait avec August Wilhelm Bach (pas de parenté directe avec JS Bach), il joua sur le superbe instrument de la Marienkirche, construit entre 1720 et 1721 par Joachim Wagner, facteur d'orgue que l'on surnommait à l'époque le « Silbermann de Brandeburg ». Plus tard, lorsqu'il vivait à Leipzig (ou qu'il y était de passage), le compositeur se rendait fréquemment à Rötha, où se trouvaient deux orgues magnifiques de Gottfried Silbermann, afin d'y interpréter, notamment, de la musique ancienne (Joachim Wagner participa d'ailleurs vraisemblablement à la construction de l'instrument de la Georgenkirche).
L'orgue de la cathedrale Saint-Theodorit d'Uzès, livré en 1683, soit 2 ans avant la naissance de JS.Bach, est particulièrement adapté pour interpréter son oeuvre, même si certains jeux de l'orgue baroque français peuvent parfois différer de ceux des orgues baroques allemands de la même époque.
Crédits :
Jean-baptiste Robin - Intégrale de
l'oeuvre d'orgue de Mendelssohn (Triton 331130)
Gilles Cantagrel – La musique d'orgue (Fayard)
Originaire d'Afrique du Sud, Liesbeth Schlumberger est formée auprès de Stephan Zondagh à l'Université de Pretoria. En Europe, elle poursuit ses études d'orgue avec Marie Claire Alain et Jean Boyer, de clavecin avec Huguette Dreyfus et d'improvisation avec Jean Langlais. Elle approfondit sa recherche dans le domaine de l’interprétation à l'orgue avec Jean-Claude Zehnder, Harald Vogel, Jacques van Oortmerssen.
Liesbeth Schlumberger remporte le National Music Prize de la South African Public Broadcasting Corporation (SABC) et elle est lauréate du Concours international d'orgue de Bordeaux.
Depuis 1994, Liesbeth Schlumberger est l'organiste titulaire de l'orgue Mutin Cavaillé-Coll de l'Église Protestante Unie de l'Étoile à Paris en France. Elle participe à l’organisation des concerts “Samedis Musicaux” pour l'Association des amis des grandes orgues de l'Étoile.
L’enseignement occupe une place importante dans sa vie. En 1996, elle est nommée assistante de Jean Boyer au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon. Depuis 2004, elle poursuit ce travail en collaboration avec François Espinasse.
En 2015, l'Odeion School of Music (OSM) de l'Université de l'État Libre à Bloemfontein, en Afrique du Sud, crée la chaire d'orgue-Liesbeth Schlumberger.
Liesbeth Schlumberger est concertiste et se produit en Europe, en Asie et en Afrique du Sud. Elle a donné la première exécution française de l'Africa Hymnus du compositeur sud-africain Stephan Grové sur l'orgue de la Cathédrale de Chartres. Un enregistrement sur CD à la Cathédrale de Saint Mary de Johannesburg a été publié par Priory Records dans leur série Popular Organ Music.
Liesbeth Schlumberger a réalisé des enregistrements pour la radio française, espagnole et sud-africaine. En octobre 2021 à l'auditorium de Radio France à Paris, Mme Schlumberger a interprété, en présence du compositeur, la première mondiale de l’œuvre qui lui est dédiée : Invention 4 de Gilbert Amy.
Elle est régulièrement invitée comme membre du jury lors des concours d'interprétation d'orgue.
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